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Doléances et (con)doléances, ou l’art de tuer les bonnes idées pour revivifier la démocratie.

« Le macronisme, l’art de tuer les bonnes idées pour revivifier la démocratie » : c’est la réflexion qui m’est venue en écoutant le débat sur « Que deviennent les cahiers de doléances ? » ce midi sur France Inter. Sujet repris le soir sur France 3 dans un documentaire sur Les doléances. Tout cela résonnait pour moi avec l’échange la veille au soir au sein de la conférence de rédaction de Témoignage Chrétien à propos du sondage donnant Marine Le Pen gagnante à la présidentielle de 2027 autour de la question « qu’est-ce qui se passe dans la tête des français ? ».

Après la crise des gilets jaunes, j’avais soutenu ici et dans TC, il y a cinq ans, la démarche du Grand débat national, en utilisant la figure, fondatrice de la théorie des jeux, du pari de Pascal pour répondre positivement à la question « débattre ou ne pas débattre… » : « il vaut mieux participer, car si l’on ne participe pas on ne risque pas de faire entendre sa voix et on est certain d’être perdant, alors que, si l’on participe, on a une chance d’être entendu ». Bien sûr j’étais conscient du risque aussi de ne pas être entendu, mais j’ajoutais : « il sera quand même difficile à l’exécutif de ne pas tenir compte de ce qui se sera exprimé, sauf à renforcer une crise de confiance dont un récent sondage du Cevipof a montré à quel point elle est profonde ». Malheureusement c’est ce qui s’est passé : la parole s’est exprimée et, même sceptiques, les citoyens se sont engagés, massivement(ce qui montre qu’on peut garder espoir dans la démocratie),  mais elle n’a pas été entendue. Non seulement elle n’a pas été entendue, mais elle a été niée, détournée : j’entends encore la voix d’Edouard Philippe tirant avant d’avoir les résultats de la synthèse demandée à Opinion Way, des conclusions orthogonales à ce que l’on savait des contributions, notamment sur la fiscalité. Non seulement elle n’a pas été entendue, non seulement elle a été détournée, mais elle a aussi été enterrée. On ne trouve plus la trace de la synthèse opérée par Opinion Way, les données ont été effacées des ordinateurs des consultants et les cahiers de doléances qui, devaient être numérisés sous la responsabilité de la Bibliothèque nationale pour être accessibles facilement en « open data » ne l’ont majoritairement pas été.

Ce mépris pour la parole du peuple qu’on avait pourtant sollicité et qui, malgré ses doutes, s’était exprimé, explique en grande partie le populisme d’ambiance qui se développe et conduit les électeurs à s’orienter vers le vote Le Pen, qui bénéficie en outre de l’argument « on a tout essayé, sauf elle ».

Mais surtout, en n’exploitant pas réellement cette expression d’une grande richesse, en n’en soumettant pas les conclusions à des délibérations démocratiques, on s’est privé de comprendre les ressorts profonds de la crise de la démocratie que nous traversons. Finalement, comme ceux de 1789, les cahiers de doléances de 2019 risquent de servir surtout aux socio historiens du futur pour faire une analyse rétrospective de notre époque et comprendre les raisons des catastrophes qui nous attendent. Quel gâchis !

A moins que nous trouvions les moyens de nous en saisir et, en comprenant les ressorts des tréfonds de la société, d’inverser le cours des choses.

Paris, Croulebarbe, 8-9 février 2024

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