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Qu’est-ce que la vérité ? (3) Le dilemme du placebo ou « Y a-t-il une vérité en médecine ? »

Sous le titre « L’homéopathie est-elle soluble dans l’esprit scientifique ? » (révérence au regretté -du moins sur les ondes- Philippe Meyer, et à son « Le communisme est-il soluble dans l’alcool ? ») ,  Philosophie magazine du mois de novembre a publié un article de Philippe Huneman qui me semble très révélateur des confusions ambiantes sur la notion de « vérité médicale ».

Qu’est-ce que la vérité ? (3) : le dilemme du placebo

ou « Y a-t-il une vérité en médecine ? »

La médecine est elle une science ? Non, assurément, c’est un art (ou plutôt un artisanat, d’ailleurs en partie en voie d’industrialisation), celui de soigner, en s’appuyant, et de plus en plus, sur des connaissances scientifiques et sur les technologies qui sont développées sur ces bases. La médecine est aussi à la fois réglementée et remboursée : l’Etat définit les conditions de l’exercice légal de la médecine, pour éviter le charlatanisme, et définit aussi le panier de soins qui sont pris en charge par l’assurance-maladie. La question, pour l’homéopathie, se pose uniquement sur ce deuxième sujet, comme elle s’est posée pour les médicaments à service médical rendu insuffisant (SMRI) qui font régulièrement l’objet de mesures de déremboursement, sans pour autant être interdits. Le raisonnement sous-jacent, et j’y ai participé, c’est que l’assurance maladie ne peut pas rembourser « tout ce qui fait du bien » aux patients (dès lors du moins que ça ne leur fait pas de mal), sauf à avoir une extension quasi infinie de son périmètre de remboursement, et donc qu’elle doit prendre en charge ce qui a une efficacité médicale suffisante, et prouvée.

Pour défendre (ou pas, car la conclusion de son article n’est pas claire sur ce point) l’homéopathie, Philippe Huneman déploie un sophisme révélateur des grandes confusions qui existent sur ces matières. A cet effet, il critique avec talent et dans des termes que je pourrais entièrement reprendre à mon compte,  les évaluations telles qu’elles sont conduites pour les thérapies conventionnelles (principalement le médicament), et constate que le fait qu’il n’y ai pas de base réellement scientifique à l’homéopathie, n’interdit pas son utilisation thérapeutique. Mais deux arguments négatifs ne font pas un argument positif.

Il a raison de dire que le fait qu’on n’ai pas d’explication du mécanisme supposé de l’homéopathie n’invalide pas l’utilisation de l’homéopathie en médecine, dès lors que « ça marche ». Il y a eu, et il y a encore, de multiples thérapies, qu’on a utilisé, ou qu’on utilise encore, avec succès, sans qu’on sache exactement le mécanisme qui les rend efficaces. Le scientisme occidental, qui marque la médecine comme nombre d’activité humaine, a d’ailleurs probablement conduit à délaisser des thérapies qui n’entraient pas dans notre explication d’ensemble de l’humain, notamment dans le champ psychosomatique, faute d’avoir réellement voulu les évaluer (par exemple, ce n’est que récemment qu’on a commencé à s’intéresser à l’évaluation de l’hypnose à des fins thérapeutiques).

Mais le fait que les évaluations réalisées pour la médecine conventionnelle soient contestables ne donnent pas une évaluation positive pour l’homéopathie. Or aujourd’hui, on n’a aucune preuve que l’homéopathie ait un effet supérieur à l’effet placebo, aucune preuve que « ça marche », et les réticences fortes des tenants de l’homéopathie à se soumettre à des évaluations sérieuses ne permettent pas d’en obtenir. Pour la plupart d’entre eux les théories sous jacentes sont davantage articles de foi et ne sont pas « contestables » ou « réfutables », au sens de Karl Popper.

De surcroit, non seulement on n’a aucune preuve que « ça marche », mais, en outre, il y a un réel obstacle scientifique, et pas seulement épistémologique, à l’action de l’homéopathie. Pour qu’une substance agisse, il faut, dans tous nos modèles scientifiques, qu’elle existe : or aux niveaux de dilution qui sont utilisés, la substance n’a pas été « dissoute » comme l’écrit à tord l’auteur de l’article, mais a bel et bien disparu, dans l’immense majorité des cas. Et la thèse de la « mémoire de l’eau », qui aurait pu donner un fondement scientifique à cette action différée, s’est révélée finalement une supercherie scientifique. Au final, il n’y a pas plus de raison de croire aux effets propres, directs de l’homéopathie, qu’à celle des astres sur nos destins personnels, comme le suppose l’astrologie. Or, que je sache, l’astrologie n’est pas remboursée par la Sécurité sociale.

Aux effets directs, car l’homéopathie a probablement des effets indirects positifs, qui conduisent, si elle est déremboursée, à ne pas en interdire l’exercice, du moins pour certaines pathologies (bien sûr, il serait coupable de soigner des cancers par homéopathie). Primo, l’homéopathie est un bon support pour l’effet placebo, qu’on ne sait pas vraiment expliquer mais qui est bien réel, et mesuré, et d’un effet placebo probablement renforcé, car il semble que celui-ci soit d’autant plus fort qu’on y croit : y aurait-il un effet placebo, si le placebo se présentait comme tel et non comme un « vrai médicament » ? Secundo, si l’homéopathie n’a pas d’effet direct, elle n’a pas non plus d’effet secondaire : pour des pathologies pour lesquelles il n’existe pas de traitement médicamenteux réellement efficace, il n’y a pas, au moins d’effet indésirable. Tertio, la pratique de la médecine homéopathique conduit les praticiens à un « interrogatoire » plus détaillé en général que celui pratiqué en consultation par la grande majorité des médecins généralistes, et donc à une attention au patient qui a probablement un effet positif. D’ailleurs si il est question de dérembourser les médicaments homéopathiques, il ne l’est pas, à ma connaissance, pour les consultations médicales des médecins homéopathes.

La vérité médicale est une vérité particulière, car elle repose plus sur l’observation des effets des thérapeutiques utilisées, que sur les explications scientifiques ; mais ce faisant, elle fait aussi avancer les connaissances scientifiques. De ce fait, il n’y a, en médecine plus encore qu’ailleurs, de vérités que provisoires. Ca ne veut pas dire qu’il n’y ai pas de vérité. Vérité provisoire mais vérités multiples, de surcroit, car elles servent de fondement aux thérapies utilisées pour soigner, mais aussi de base pour la prise en charge par la collectivité. Comme il y a un continuum entre le fait de faire du bien et celui de soigner des maladies, inclus dans la définition même de la santé par l’OMS, ces deux vérités peuvent ne pas être strictement identiques. C’est le dilemme du placebo, qui a une efficacité médicale réelle, mais n’a pas vocation à être remboursé.

Paris, le 6 novembre 2018.

Un commentaire

  • Je trouve très pertinent cet argumentaire concernant l’homéopathie. Certes son effet placebo et son innocuité permettent d’éviter des traitements allopathiques qui peuvent induire des effets dommageables comme les antibiotiques utilisés pour de simples infections virales ou des antalgiques pour n’importe quelle douleur.
    Mais personnellement je n’ai jamais pu me résoudre à utiliser l’homéopathie à laquelle je ne croyais pas scientifiquement. Il est souvent difficile de dire à un patient que son état ne nécessite pas de médicament.
     » Alors quelques granules
    « Ça ne peut pas faire de mal  »
    Mais cela alimente le principe que la médecine n’est pas une démarche rationnelle sinon scientifique. Le risque est de légitimer n’importe quelle pratique telle que celles qui fleurissent actuellement et de favoriser des désinformations comme pour les vaccins.
    .

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