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Séparatisme, vous avez dit séparatisme (Laicité j’écris ton nom)

On attendait avec impatience et, pourquoi ne pas le dire, un peu d’inquiétude, les annonces d’Emmanuel Macron sur le séparatisme. Qu’il y ait, face aux risques que fait peser sur nos sociétés le développement de l’islamisme politique, à rappeler les principes de la laïcité, fondateurs de notre conception de la République, et à les poser en garde-fou à la tentation des religions d’imposer leur loi ; qu’il y ait à lutter contre les formes identitaires et totalitaires de communautarisme ; qu’il y ait à prévenir la radicalisation violente ; qu’il y ait à assurer la sécurité des citoyens face au risque terroriste (qu’il ne faudrait pas résumer au risque djihadiste, comme l’ont illustré les attentats contre des mosquées en Allemagne, aux Etats-Unis ou en Nouvelle-Zélande), tout cela est incontestable. Mais pourquoi vouloir tout regrouper sous cette notion inadaptée de « séparatisme », qui ne peut qu’introduire de la confusion entre ces concepts juridiquement installés, même s’ils font l’objet de débats, que sont la laïcité, le communautarisme, la radicalisation ou le terrorisme, et conduire à la stigmatisation de nos concitoyens de confession ou de culture musulmane ?  D’ailleurs, si « le problème n’est pas la laïcité », pourquoi alors présenter le projet de loi en conseil des ministres le 9 décembre, jour anniversaire de la loi de 1905.

Séparatisme, vous avez dit séparatisme

Il y a beaucoup de bonnes choses dans les annonces d’Emmanuel Macron, avec des propositions qui, pour la plupart ne sont pas nouvelles, mais ont souvent été engagées sous le quinquennat précédent, … et parfois mises en sommeil depuis trois ans. Ainsi en est-il de soumettre les financements publics aux associations au respect des principes de la laïcité, mis en place par les Caf dès 2015. Ou d’étendre le principe de neutralité qui interdit le port de signes religieux et qui s’applique aux fonctionnaires, aux agents de droit privé délégataires du service public, qui a commencé à être appliqué par les caisses de Sécurité sociale dès 2003 et confirmé par la Cour de cassation en 2013. Ou de mettre en place des dispositifs de prévention de la radicalisation, comme l’avait prévu la circulaire « Cazeneuve » du 29 avril 3014.

La reconquête des quartiers devenus des « territoires perdus de la République » est également une priorité, car les causes sociales de la dérive islamiste sont réelles. D’ailleurs le discours a failli être prononcé à Lunel, dont l’un des quartiers a été un des principaux pourvoyeurs français de volontaires Daesh, ce qui avait conduit la Caf à installer un centre social dans ce quartier qui, comme encore des centaines des quartiers politique de la ville, n’en disposait pas. Mais pourquoi avoir repoussé de façon aussi radicale les « plan Borloo », qui proposait une sorte de plan Marshall pour ces quartiers, et qui répondait à ce « devoir d’espoir » que le Président appelle aujourd’hui de ses vœux. On ne peut que se réjouir en tous cas que certains de ses éléments doivent être repris dans le plan de relance.

Tout cela n’ira pas, cela étant, sans poser des problèmes considérables de mise en œuvre. Comme, par exemple, l’extension du principe de neutralité à tous les délégataires du service public Soyons clair, l’enjeu est d’interdire le port du voile, sorte d’obsession française, par les conductrices de bus (et non les conducteurs dont on ne va pas mesurer la taille de la barbe !), les puéricultrices des crèches (comme avait essayer de le faire la crèche Baby Loup), et autres agents privés effectuant un service public. Mais appliquera-t-on le même principe aux crèches Loubavitch ou aux éducateurs en habit religieux d’un enseignement catholique, qui revendique « participer loyalement à la mission de service public d’éducation ».

On voit là que le Président s’est livré à un jeu d’équilibriste, en annonçant des dispositifs qui s’appliqueront en priorité à l’islam tout en évitant les effets collatéraux sur les autres religions -alors que le principe de laïcité implique une égalité de traitement entre les religions-, et en essayant de ne pas tomber pour autant dans le piège de l’islamophobie, tout en évitant la naïveté, dont il est lui-même accusé d’avoir fait preuve, vis-à-vis des risques que représente la montée de l’islamisme en France. Mais on risque d’atteindre là les limites du « enmêmetempstisme » macronien.

Ainsi en est-il d’instituer l’obligation scolaire dès trois ans, et d’obliger les familles musulmanes à se soumettre à l’enseignement laïque, ce qu’on ne peut qu’applaudir, mais en veillant bien à ne pas réveiller la guerre scolaire avec l’enseignement catholique.

Ainsi en est-il de la volonté de soumettre les mosquées au statut d’association prévu par la loi de 1905, alors que l’Eglise catholique en a refusé le principe et bénéficie depuis les années vingt d’un régime spécifique avec les associations diocésaines (« quelque autre genre d’association à la fois légal et canonique » réclamé dès 1906 par le pape Pie X), présidées par une personne, l’évêque, nommé par un Etat étranger, le Vatican, et incompétente pour les questions cultuelles.

Ainsi en est-il de la volonté d’organisation d’un « islam des Lumières » en France, question à laquelle se sont heurtés de nombreux gouvernements depuis que Nicolas Sarkozy alors ministre de l’intérieur, a créé le CFCM en 2003, sans pour autant mettre en place un régime concordataire. On ne peut que souhaiter que cet enjeu aboutisse enfin, et l’évolution du CFCM et l’autonomie acquise désormais par la Fondation de l’islam de France constituent un contexte favorable. On aimerait toutefois que l’État lève aussi ses pudeurs en se réfugiant derrière les principes de la laïcité pour ne pas aborder « affaires internes » aux autres religions, comme cela a été le cas quand il s’est agi de mettre son nez dans l’intimité de l’Église catholique pour les crimes pédophiles commis par certains de ses clercs.

Il ne faudrait pas que la notion de séparatisme soit une façon de mettre en place une laïcité à géométrie variable.

Paris, Croulebarbe, le 4 octobre 2020

 

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