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Dieu qu’il était joli le temps du confinement (au temps du corona, 6)

Dieu qu’il était joli le temps du confinement. Quand tout le monde était traité à la même enseigne. Le principe d’égalité était respecté … même si les conséquences en étaient très inégales.

Qu’on l’appelle « deuxième vague » ou pas, la reprise d’une progression lente mais néanmoins exponentielle de l’épidémie ne réclame pas, à l’évidence, de mesure aussi radicale, d’autant qu’avec les masques, on dispose désormais et en quantité suffisante, de moyens de ralentir cette progression. Et que l’on en connait aujourd’hui les conséquences économiques (et sociales qu’on ne saurait oublier) catastrophiques, sans parler des désordres psychologiques qui en résultent pour beaucoup.

Mais un réglage fin des mesures de protection, territorialisé, et plus ou moins concerté avec les autorités locales, jouant sur la palette des dispositifs de prévention et de distanciation (car rappelons-le, on n’a pas encore trouvé de médicament ou de vaccin contre le coronavirus), se révèle un exercice complexe, ou, pour tout dire hasardeux et ouvert sur autant de chausse-trappes. Prend-on une mesure à Marseille et pas à Paris qu’on crie aussitôt à l’inégalité de traitement et qu’on réveille de vieilles rivalités qui ne trouvent plus les moyens de s’exprimer sur un terrain de football. Prend-on des mesures apparemment plus exigeantes pour les bars que pour les restaurants, qu’on voit les organisations s’élever contre des différences de traitement incompréhensibles. Veut-on limiter les présences dans les amphis pour les étudiants, ou les visites dans les Ehpad pour les résidents, qu’on réveille le soupçon de stigmatisation des jeunes ou des âgés. Sans parler de l’incompréhension suscitée par le port obligatoire du masque à l’extérieur, dans un pays qui, pour des raisons de sécurité publique, a interdit de se voiler le visage.

Difficile pour un État trop centralisé, mais responsable en dernière instance, d’arbitrer, point à point, entre le sanitaire et l’économique, pour ralentir la progression du virus, mais pas la croissance. Sans compter les effets psychosociaux, sur le mental et le relationnel, largement sous-estimés pendant le confinement. Faut-il maintenir un masque pour les puéricultrices des crèches alors que les échanges non verbaux sont un élément essentiel des apprentissages ? Faut-il restreindre les contacts dans les Ehpad, condamnant les vieux à une mort sociale peut-être plus difficile à vivre que le risque viral ? Faut-il interdire aux jeunes de faire la fête, au risque de créer une « génération Covid » frustrée et déprimée ? Et l’abus du télétravail ne va-t-il pas dissoudre dans la sphère individuelle, ce qui fait les joies et les tensions de la vie collective en entreprise ?

Le problème c’est que s’affrontent deux conceptions de la santé : une conception individualiste et une conception probabiliste. On se souvient du « no sport » de Churchill, opposant aux prescriptions sanitaires le démenti de sa pratique individuelle : ils sont nombreux ceux qui ne contractent pas de cancer alors qu’ils abusent de tabac, d’alcool et de nourriture, … mais beaucoup moins que ceux qui ne le font pas. Dans cette conception individualiste, peut-être plus présente en France qu’ailleurs, comme en atteste l’importance des antivax, la santé qui prime c’est la sienne propre. Mais a contrario, on ne peut appliquer aux comportements des humains des règles populationnelles qui finissent par les assimiler à des pieds de blés dans un champ.

Au fonds, derrière nos débats, ce sont deux conceptions de la société qui s’affrontent, lorsqu’il faudrait arriver à les réconcilier. En matière de santé comme dans d’autres domaines, cela nécessiterait plus d’éducation et plus de démocratie. Pussions-nous tirer dans ce domaine comme dans les autres les leçons de l’épidémie.

Paris, Croulebarbe, le 8 octobre 2020

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