Sur le fil

Laïcité, j’écris ton nom (suite, 5 … à propos de « Je suis Charlie »)

C’est aujourd’hui le troisième anniversaire des funestes attentats de janvier 2015, qui ont commencé le 7 janvier avec la rédaction de Charlie Hebdo, se sont poursuivis les 8 et 9 janvier, à Montrouge et à l’hyper cacher de la porte de Vincennes, et ont continué ensuite en France et sur la quasi-totalité des continents. En fait on ne saurait oublier que la série des attentats djihadistes n’a pas commencé avec ceux là, mais en 2012, avec le périple sanglant de Mohamed Merah qui se termine dans l’école juive Ozar Hatorah de Toulouse, après avoir commencé par l’assassinat de trois militaires français dont deux de culture musulmane (même si cette première vague n’avait pas été commanditée par Daesh).

Ces commémorations ont été l’occasion de revenir sur la signification du slogan, largement diffusé dès après l’attentat, notamment sur les réseaux sociaux, puis décliné après chacun de ces attentats. Mais « Je suis Charlie », qui a eu un succès immédiat, a une signification particulière, par sa référence non à un lieu, comme ceux qui lui ont succédé, mais au journal Charlie hebdo, journal satirique, et qui avait fait l’objet de menaces pour avoir publié, notamment, des caricatures de Mahomet, au nom d’une conception de la laïcité qui remet en cause la notion de blasphème, considérant que la loi religieuse ne peut s’imposer à la loi civile, en l’expèce républicaine. Pourtant, cette référence fait l’objet de débats, illustrés encore récemment par la polémique entre Edwy Plenel et Riss, mais qui rebondissent à l’occasion de ces commémorations. Dès après les attentats, des doutes ont été émis sur le caractère unanime de cette référence, notamment par Emmanuel Todd. Et Atlantico considère trois ans après que « Je suis Charlie » recrée le clivage « droite gauche ».

Pour ma part, et dès le 9 janvier 2015, afficher « Je suis Charlie » est une façon de rappeler les exigences de la laîcité républicaine, sans pour autant toujours partager les opinions, d’ailleurs fort diverses, qui s’expriment dans ce journal, ni toujours gouter totalement l’humour des dessins qui y paraissent. Car l’essentiel n’est pas là.

 

Je suis Charlie ou Laïcité, j’écris ton nom (5)

En effet, défendre Charlie hebdo, c’est aussi affirmer quelques points qui découlent de notre régime de laïcité. Je n’en citerai ici que trois, qui me semblent sous jacents à l’actualité du moment.

  1. Les religions peuvent être l’objet de critiques et de caricatures. Défenseur de la laïcité, comme Charlie Hebdo, elle implique pour moi le respect de toutes les convictions, notamment religieuses, y compris de leur expression dans l’espace public, dès lors qu’elles ne viennent pas « troubler l’ordre public » et je me suis toujours opposé aux conceptions antireligieuses de la laïcité. Mais ce respect des convictions de l’autre et de leur expression, qui fonde la paix civile dans notre pays après l’expérience, trop longue, des guerres de religions, ne signifie pas qu’on ne peut pas critiquer les religions, et donc les institutions qui les représentent. Qu’on apprécie ou pas ces critiques, elles relèvent de la liberté d’expression, dans les limites qui lui sont fixées par la législation, notamment l’injure ou la diffamation. Les caricatures de Charlie ne sont d’ailleurs pas orientées principalement contre l’islam, et j’avais apprécié, après les attentats, l’initiative de la revue jésuite « Etudes » de publier les caricatures du christianisme et de l’église catholique sur son site pour le rappeler, et regretté que des pressions internes à l’église catholique l’ai conduit à les enlever très vite. Et d’ailleurs comme cela a été jugé, les caricatures de l’islam visent davantage ses dérives, notamment la violence djihadiste, dont personne ne peut nier qu’elle n’est guère respectueuse de la liberté d’opinion ou d’expression de ceux qui ont une autre religion, ou qui n’en ont pas.
  2. Le crime de blasphème n’existe pas. Il n’existe plus, en tous cas, du moins en France, depuis la révolution. Il n’y a donc pas à proprement parler à revendiquer de droit au blasphème : dans une société libérale, tout ce qui n’est pas interdit est autorisé. La divinité, dieu, qu’on y croit ou non, et quoique l’on veuille désigner derrière le mot, n’est pas un sujet de droit, qui est une affaire entre humains. Pour le non croyant c’est évident. Pour le croyant, ce serait lui faire perdre sa transcendance en le traitant comme un humain ordinaire. Il faut, dans ce domaine, appliquer le principe de la séparation des ordres, cher à Pascal, et ne pas confondre l’ordre du politique et l’ordre du religieux. Il y a un beau combat à mener au plan du droit international, comme pour l’abolition de la peine de mort : la suppression de ce crime, ou de délit de blasphème, qui existe encore dans certains pays, y compris européens, en s’appuyant pour cela sur les articles 2 et 18 de la déclaration universelle des droits de l’homme (comme la suppression en France s’appuie sur les articles 10 et 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen).
  3. Critiquer l’islam, ce n’est pas du racisme. A fortiori quand il s’agit surtout d’en critiquer les dérives. Pas plus que critiquer les positions d’Israel n’est de l’antisémitisme. Ou défendre les cultures des populations issues de l’immigration récente n’est du racisme anti-blanc. Ou hier, pour sortir des registres ethniques ou religieux, dénoncer le goulag n’était de l’anticommunisme primaire. Toutes les religions, et même l’athéisme, toutes les idéologies, et même le libéralisme, ont eu leurs dérives totalitaires. Les critique peuvent paraître excessive au croyant ou au militant, mais se révèlent souvent pertinentes quelques années après.  Il faut laisser les lanceurs d’alerte idéologiques faire leur travail de vigilance. La caricature peut paraître blessante au croyant ou au militant. Mais l’humour est l’hygiène de l’esprit et fait partie des techniques de ces lanceurs d’alerte. Critiquer l’islam ce n’est pas de l’islamophobie, et avoir peur des risques inhérent à la religion musulmane (ce qui est l’étymologie de l’islamophobie comme l’avait très bien rappelé Charb) ce n’est pas du racisme. Je suis pour ma part tenté de renvoyer dos à dos Gilles Kepel et Olivier Roy, ou du moins la version polémique de leurs positions : la dérive djihadiste ne trouve pas sa cause uniquement dans l’islam, mais ou ne peut non plus exonérer l’islam de toute responsabilité dans cette dérive. Il faut sortir du piège de ce mauvais concept d’islamophobie dans lequel nous nous sommes laissés enfermés pour traiter l’islam comme les autres religions. Et ne plus confondre les critiques de l’islam, qui peuvent être légitimes, à commencer par celles sur le statut de la femme, avec le racisme anti arabe (qui est plus précisément dans notre pays est un racisme antimaghrébin).

Le mieux sur ce sujet est encore de laisser la parole à Charb, ce qui est ma façon de rendre hommage aux victimes de l’attentat du 7 janvier.

« Si tu penses que la critique des religions est l’expression d’un racisme,
Si tu penses qu’ « islam » est le nom d’un peuple,
Si tu penses qu’on peut rire de tout sauf de ce qui est sacré pour toi,
Si tu penses que faire condamner les blasphémateurs t’ouvrira les portes du paradis,
Si tu penses que l’humour est incompatible avec l’islam,
Si tu penses qu’un dessin est plus dangereux qu’un drone américain,
Si tu penses que les musulmans sont incapables de comprendre le second degré,
Si tu penses que les athées de gauche font le jeu des fachos et des xénophobes,
Si tu penses qu’une personne née de parents musulmans ne peut être que musulmane,
Si tu penses savoir combien il y a de musulmans en France,
Si tu penses qu’il est essentiel de classer les citoyens selon leur religion,
Si tu penses que populariser le concept d’islamophobie est le meilleur moyen de défendre l’islam,
Si tu penses que défendre l’islam est le meilleur moyen de défendre les musulmans,
Si tu penses qu’il est écrit dans le Coran qu’il est interdit de dessiner le prophète Muhammad,
Si tu penses que caricaturer un djihadiste dans une position ridicule est une insulte faite à l’islam,
Si tu penses que les fachos attaquent surtout l’islam lorsqu’ils visent un Arabe,
Si tu penses que chaque communauté devrait avoir une association antiraciste dédiée,
Si tu penses que l’islamophobie est le pendant de l’antisémitisme,
Si tu penses que les sionistes qui dirigent le monde ont payé un nègre pour écrire ce livre,
Alors, bonne lecture, parce que cette lettre a été écrite pour toi.  »

Paris, le 7 janvier 2018

 

 

 

 

 

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