Sur le fil

« Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde » (Laïcité, j’écris ton nom)

Le 11 janvier 2015, il y a aujourd’hui cinq ans, a été un grand moment de communion républicaine et nationale qui a mis plus de 4 millions de personnes dans la rue et fait tomber les manifestants dans les bras des policiers. Mais après « Je suis Charlie », il a fallu trouver les mots pour dire l’événement, expliquer la violence, panser les blessures, prévenir les répliques qui, hélas, n’ont pas manqué depuis. Les attentats ont conduit la société française à interroger, avec des préoccupations nouvelles, des notions anciennes comme, par exemple, la laïcité, la radicalisation, les dérives sectaires, ou le communautarisme qui sont devenus depuis facteurs de division et de polémique.

Certains y ont d’ailleurs trouvé un nouveau terrain pour développer un cancer ancien de nos sociétés, le racisme. Pour autant se poser ces questions à propos des dérives de l’islam, ou plus précisément de l’islamisme, ce n’est pas tomber nécessairement dans une islamophobie aux relents xénophobes ; à condition, faut-il le rappeler, de ne pas en réserver l’usage à la seule religion musulmane, mais de l’appliquer à toutes les religions ou convictions, dont on sait le potentiel d’intolérance dont elles peuvent être porteuses. A condition, aussi, de ne pas confondre les mots, et avec eux les problèmes qu’ils désignent.

« Mal nommer un objet c’est ajouter au malheur du monde« .

Le précepte de l’auteur de « La peste« , dont nous célébrons cette année le soixantième anniversaire de la mort accidentelle, et qui, à un moment, n’a plus su trouver les mots pour dire le drame algérien, n’a peut-être jamais été d’une aussi grande actualité depuis, comme on le voit aujourd’hui avec les polémiques sur l’islamisme et l’islamophobie.

Avec Pierre N’Gahane (c’est l’objet du dossier de cette première lettre de l’année), nous avons essayé, lors de la conviviale de D&S du 17 décembre, de dénouer les mécanismes de la radicalisation. Si celle-ci tend à abolir toute distance critique des individus vis à vis de leurs propres convictions et est donc un vecteur d’intolérance, elle ne conduit pas nécessairement à la violence ni, a fortiori, au terrorisme : il ne faut pas assimiler celui-ci avec celle-là, même si elle en est, incontestablement, le terreau.

De même, si la radicalisation se développe sur le terreau du communautarisme, cela ne doit pas conduire à interdire toute forme de communautés, dès lors que celles-ci ne viennent pas contester l’appartenance à la communauté nationale, symbolisée par la République, dès lors aussi que les normes qu’elles promeuvent ne viennent pas contester les lois de la République, a fortiori vouloir s’imposer à elles et donc à tous.

De même, la laïcité, mise à toutes le sauces, n’est pas une panacée, le remède à tous nos maux, le mot à opposer à tous les mots, la réponse à apporter à tout ce qui nous inquiète : la laïcité n’est, et ce n’est déjà pas si mal, que le régime juridique du religieux dans une société démocratique ; avec deux principes, celui de la liberté religieuse et celui de la neutralité de l’État, et un corollaire : aucune religion ou conviction, y compris l’athéisme, ne peut vouloir imposer son imperium à l’ensemble de la société.

De même, il ne faut pas confondre la laïcité avec le dialogue interreligieux : si l’une est le terrain sur lequel l’autre peut pousser, et celui-ci l’occasion d’illustrer les vertus pacificatrices de la laïcité, la laïcité n’a pas plus à promouvoir ce dialogue inter-convictionnel, qu’à promouvoir telle ou telle religion, comme d’ailleurs à développer des pratiques antireligieuses qui en sont tout autant une déviance que son instrumentalisation au profit de formes déguisées de racisme.

C’est la raison pour laquelle Démocratie & Spiritualité a engagé des travaux sur les deux sujets, avec la volonté de valoriser le potentiel pacificateur de la laïcité et le potentiel mobilisateur des spiritualités, pour faire vivre, ensemble, une République démocratique.

Paris, le 11 janvier 2020

 

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