Sur le fil

Dans le clair obscur ….

« Je suis pessimiste par la raison mais optimiste par la volonté » (Gramsci)

Il est beaucoup question de fins par les temps qui courent. Fin du monde ou fins de mois : qu’on les oppose ou qu’on veuille les faire converger. Fin de l’ancien monde hier, fin de l’histoire avant hier, et de son moteur supposé, la lutte des classes, du moins pour les marxistes, puisque, si l’on en croit Warren Buffet, ce sont les riches qui l’ont gagnée.
Bien sûr, l’histoire n’est pas finie, même si elle s’écrit plutôt en jaune, du moins pour les médias, car il y avait plus de vert que de jaune dans les rues de Paris ce samedi. Mais un flot pacifique intéresse moins BF Tv et ses épigones que les noirs débordements d’une cuvette dont la couleur citron ne doit pas faire illusion.
Bien sur la lutte des classes n’est pas terminée et, tel le sparadrap du capitaine Hadock, la suppression de l’ISF, quelle qu’en soit les hypothétiques justifications économiques, a fait retour comme le symbole d’une politique de classe : les héritiers revendiqués de Michel Rocard ont eu tort d’oublier que c’est lui qui l’avait créée pour financer le RMI.
Bien sûr le vieux monde se meurt, mais son agonie se fait dans les soubresauts et ceux qui s’était donné comme projet d’en faire accoucher un nouveau n’ont finalement fait que surfer sur un dégagisme dont ils risquent désormais d’être les victimes expiatoires : et l’histoire nous a montré que c’est dans cet entre-deux, dans « ce clair-obscur » que naissent tous les monstres.
Bien sûr la question des fins de mois est angoissante pour nombre de nos concitoyens, et c’était une erreur de la traiter par le mépris, à tel point que les mesures positives pour le pouvoir d’achat n’ont même pas été perçues par ceux qui en ont bénéficié.
Bien sûr la question existentielle pour l’humanité reste celle de l’avenir de sa maison commune, mais on ne peut ramener le big bang nécessaire à la seule fiscalité écologique : la fiscalité est un outil, absolument nécessaire, au service d’une politique environnementale, mais non une fin en soi, et encore moins un moyen détourné de compléter le financement d’un Etat qui a lui aussi du mal à boucler ses fins de mois.
Est-ce que tout cela signe la fin de la tentative de synthèse macroniste ? Peut-être mais ce n’est pas sûr.
Peut-être si cela supprime toute marge de manœuvres à la politique économique et conduit à de nouvelles coupes budgétaires aveugles pour couvrir les dépenses nécessaires pour éteindre l’incendie.
Peut-être si cela signe la fin des réformes structurelles nécessaires et auxquelles le gouvernement ne s’est pas encore attaqué, comme celle des retraites, où il s’agit rien de moins que d’achever la mise en œuvre du « livre blanc » du même Michel Rocard, et plus généralement de tout ce qui prépare l’Etat providence du 21ème siècle.
Peut-être, si la reculade sur la taxe carbone signe la fin d’une encore trop timide politique de transition écologique.
Peut-être si cela signe la fin d’une Europe qui, à force d’être instrumentalisée par les néo-libéraux, reste le bouc émissaire de nos peurs alors qu’elle fait partie de la solution.
Mais le pire n’est pas sûr. C’est le moment de rendre visible le « en même temps » : conjuguer les contraires apparents pour dépasser les contradictions de la société française.
Conjuguer le vertical et l’horizontal, en inventant les outils de la démocratie à l’ère du numérique, tout en renouvelant le dialogue avec les corps intermédiaires, comme l’avait proposé Laurent Berger, car la crise des gilets jaunes a montré la nécessité de médiations pour que les aspirations et les revendications puissent trouver un débouché politique.
Conjuguer l’ancrage national et l’ouverture à l’Europe et au monde, en valorisant tout ce qu’a de positif notre identité nationale, pour, loin du retour identitaire, retrouver la fierté d’être français. La fierté, par exemple, d’avoir inspiré la déclaration universelle des droits de l’homme, dont le soixante-dixième anniversaire est hélas passé inaperçu.
Conjuguer l’économique et le social, en faisant de la protection sociale et de la lutte contre les inégalités un des piliers de notre compétitivité et du développement économique.
Conjuguer l’environnemental et le social, en pensant la redistribution comme moyen d’amortir les effets de la transition écologique.
Conjuguer l’écologie et l’économie, pour dépasser l’alternative entre croissance destructrice et décroissance, en faisant de la croissance verte le paradigme central de la politique économique.
Au pessimisme de la raison, opposons l’optimisme de la volonté, pour éviter que ce « clair-obscur » angoissant ne se peuple de nouveaux monstres.

Paris, le 10 décembre 2018

 

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