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Les antibiotiques, c’est pas automatique. Sur une bombe sanitaire à retardement

« Malgré des années de communication sur le thème « les antibiotiques, c’est pas automatique », la France est toujours mal classée. Aujourd’hui 150 000 personnes développent une infection liée à une bactérie multirésistante, et plus de 5 000 en meurent. Et selon le rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France est dans le trio de tête derrière l’Italie et les États-Unis, des pays qui connaîtront le plus grand nombre de décès d’ici 2050. » C’est en entendant ces propos de Danielle Messager commentant un rapport de l’OCDE que je me suis réveillé ce matin.

Pour avoir lancé cette campagne à la CNAMTS en 2002, mais aussi engagé, quelques années auparavant, des études à la MSA sur le développement des souches antibio-résistantes dans l’élevage porcin, puis continué cette action dans la région Nord-Pas de Calais où l’abus des antibiotiques était le plus marqué, je dois dire que le fait que nous n’ayons pas encore réussi à désamorcer ce que j’appelais à l’époque une « bombe sanitaire à retardement » (ce que l’OCDE vient de confirmer) m’a mis de fort méchante humeur.

Danielle Messager a tord sur un point : la campagne « Les antibiotiques, c’est pas automatique » qui avait marqué les esprits, a en fait été progressivement délaissée (la Cour des comptes m’avait même reproché son coût, alors qu’en termes économiques, et même si ce n’était pas son objectif, elle a fait faire des économies de médicaments dix fois supérieure). Certes, en 2010, l’assurance-maladie a essayé de la relancer, mais avec un message (« Les antibiotiques si on les utilise à tord, ils seront moins forts ») qui était à la fois peu efficace en terme de communication et faux sur le plan scientifique : ce ne sont pas les antibiotiques qui sont moins forts, ce sont les bactéries qui deviennent résistantes.

Ce phénomène d’antibio-résistance -la surutilisation des antibiotiques favorise l’émergence de souches bactériennes résistantes sur lesquels les antibiotiques n’ont plus d’effet- est connu depuis longtemps  -il a été mis en évidence dès 1940 peu de temps après la découverte des premiers antibiotiques-, et pourrait conduire à remettre en cause leur utilisation dans l’arsenal thérapeutique y compris pour des maladies graves comme la tuberculose. Pourquoi alors cette politique de l’autruche ? Comme pour le réchauffement climatique, ou la disparition des insectes pollinisateurs, phénomènes eux aussi connus depuis longtemps, j’y vois le résultat de notre myopie collective et de notre ignorance coupable sur les effets à long terme de nos pratiques individuelles : celle des patients, qui ont un rapport magique avec le médicament (ce que la campagne visait à casser, en expliquant que le fait d’être malade n’impliquait pas forcément la prise de médicaments),  celle des médecins qui les prescrivent quand ce n’est pas nécessaire (c’est pour cela que nous avions diffusé un test de diagnostic rapide, qui semble n’être pas suffisamment utilisé, pour vérifier si l’angine était d’origine virale ou microbienne) et qui abusent des traitements d’assurance y compris pour rassurer leurs patients, celle de l’industrie pharmaceutique, qui n’a pas vu cette campagne d’un bon œil mais n’a pas osé le dire, et a continué  trop longtemps à mobiliser ses visiteurs médicaux pour favoriser un usage abusif des antibiotiques, mais aussi, celle, il faut bien le dire hélas, des autorités publiques, qui ont trop souvent tendance à délaisser les enjeux de long terme, alors que c’est le rôle de la puissance publique que de corriger la myopie des acteurs.

Les actions à mettre en œuvre sont pourtant relativement simples selon l’OCDE et peu couteuses : ce sont celles que nous avions développé à l’époque -encore faut-il les maintenir dans la durée et surtout les assoir sur un effort considérable d’éducation à la santé-, mais il y a urgence. Pour l’OCDE, « investir immédiatement pour contrer l’invasion des superbactéries permettrait de sauver des vies et d’économiser de l’argent à long terme » : en d’autres termes, un investissement social (en l’espèce, sanitaire), pertinent.

 

Paris-Lyon, le 8 novembre 2018

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