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Recentrer la protection sociale sur l’investissement social

A la demande de Didier Ambroise, que j’avais retrouvé à l’occasion d’un dîner débat organisé par Joelle Mandelbaum et François Chabal au Sénat, j’ai répondu à une interview de #Parcours, la lettre de Doshas Consulting dont il est le patron, en reprenant l’essentiel de mon intervention.

Recentrer la protection sociale sur l’investissement social

Pour donner une orientation stratégique d’avenir à la protection sociale, Daniel Lenoir plaide pour des actions de prévention santé au sens large et des mesures d’intervention ciblées sur les déterminants sociaux. Un investissement social nécessaire pour repenser un nouvel État providence qui accompagnerait les personnes dans leurs parcours de vie et leur offrirait de réelles capacités de résilience, venant renforcer la couverture des risques.

‘‘Depuis mon entrée à l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), en 1990, à l’âge de 35 ans, je pense avoir à peu près tout fait dans le domaine du social et de la protection sociale.’’ Une conversion relativement tardive pour cet ingénieur agronome de formation, titulaire d’un master en sociologie, ayant commencé sa carrière professionnelle comme chargé de mission dans les chambres d’agriculture et au ministère de la Coopération. Observateur engagé des transitions sociétales, du monde et de ses défis, Daniel Lenoir est l’auteur d’un blog, ‘‘L’âge de raison(s)’’, où il se plaît à développer une réflexion et une liberté de pensée, salvatrices à bien des égards. Ses ‘‘Dix livres qui ont nourri ma pensée de l’action’’ en sont une belle illustration. D’Albert Camus au marxisme, en passant par la formation de l’esprit scientifique et ses rapports au christianisme, cette ‘‘promenade inattendue dans le jardin de (ses) références en matière de philosophie de l’action’’, en disent long sur les engagements de cet homme de conviction.

L’État providence en crise ?

Avant son retour à l’IGAS l’année dernière, Daniel Lenoir a successivement dirigé six organismes dans le domaine de la protection sociale obligatoire ou complémentaire. Il commence d’abord à la Mutualité fonction publique puis à la Mutualité sociale agricole (MSA), alors en période de crise, avant de rejoindre la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) et la Mutualité française. En 2009, il retrouve sa région natale, le Nord-Pas-de-Calais, pour créer et gérer l’Agence régionale de Santé (ARS). Quatre ans plus tard, il devient directeur général de la Caisse nationale d’allocations familiales (Cnaf). ‘‘Ayant participé à tous les grands débats sur les réformes de la protection sociale – et il y en a eu beaucoup ! – j’en tire un bilan en demi-teinte. Contrairement à ce qui est souvent dit, la couverture obligatoire n’a jamais cessé d’augmenter et la privatisation rampante, qui était à craindre, n’a pas vu le jour. Cependant, les risques couverts étant de plus en plus importants, le taux de remboursement et la prise en charge de certains médicaments ont été contraints de diminuer. Même s’il y a eu beaucoup de réformes positives, les problèmes de fond ne sont pas réglés, l’erreur commise étant d’avoir appréhendé l’évolution de la société par le mauvais bout.’’ Pour étayer ses propos, l’inspecteur général des affaires sociales invite à relire Pierre Rosanvallon et son célèbre ouvrage, ‘‘La crise de l’État providence’’, sorti en 1981. ‘‘Face aux problèmes mis en évidence par ce penseur, nous ne sommes pas allés assez loin dans l’obtention de solutions, ce qui m’a amené à écrire un article intitulé ‘‘L’État providence est mort, vive l’État providence*.’’

Augmenter les capacités de résilience

Assurer la couverture des risques et compenser les handicaps, c’est sur ce principe que s’est construit tout le système français de protection sociale. Aujourd’hui, Daniel Lenoir propose de le rééquilibrer, voir parfois d’en inverser la logique ‘‘en limitant la part d’assurance et augmentant la part de résilience’’. Et de faire entendre sa voix en faveur de la prévention, et plus généralement de l’investissement social. ‘‘Quand je dirigeais l’ARS, j’avais coutume de dire aux journalistes, si vous n’aimez pas les vaccins, essayez les maladies ! Autre exemple éloquent, le sujet crucial de la dépendance qu’on peut reculer le plus tard et rendre la moins lourde possible.’’ Il défend aussi l’investissement dans la santé alimentaire et environnementale, ‘‘une terra incognita’’ et toutes autres mesures agissant sur les déterminants de santé. ‘‘À cet égard, le plan pauvreté du gouvernement est plutôt bien conçu, notamment dans le domaine de la petite enfance, avec l’accent mis sur les apprentissages précoces de la langue française et l’idée de deuxième chance pour les personnes durablement exclues, avec un service public de l’insertion. Ce qui a été le gros échec du i de RMI et du a de RSA, dû en grande partie à une question de méthode de travail et d’accompagnement. Faute de marge de manœuvre suffisante, le filet de sécurité est resté un amortisseur et n’est pas vraiment devenu un tremplin permettant de rebondir. Un constat valable dans tous les domaines du social.’’

Mesurer le rendement social

‘‘Recentrer la protection sociale sur le concept, certes un peu théorique, d’investissement social est la seule manière de faire non pas des économies mais de contenir la croissance de la dépense. Ma crainte, alors que des discours sur comment repenser l’État providence commencent à être assez élaborés, est que les arbitrages budgétaires empêchent leur application.’’ Il y a donc urgence à mesurer le rendement économique et social de la dépense sociale. ‘‘La Cnaf a développé avec France Stratégie un travail très intéressant sur la mesure de l’investissement social, en s’appuyant sur cette notion de rendement social et pas seulement économique de la dépense. Ainsi, en matière de prévention santé, le rendement économique est bien souvent négatif alors que le rendement social peut être très positif.’’ Daniel Lenoir reste un ingénieur. Il sait donc mieux que personne que ‘‘sans outils de mesure, les concepts ne servent pas à grand-chose dans la conduite des politiques publiques !’’

« Permettre aux gens de rebondir suppose des efforts de prévention et de formation, tout ce que j’appelle l’investissement social. »

Paris, le 5 novembre 2018

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