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De l’Europe sociale à l’Union sociale (4) : quelle réponse aux défis sociaux du numérique ?

Vers une Union sociale pour donner un avenir à tous les Européens

A l’heure où les transformations numériques bousculent un grand nombre de nos concitoyens, l’Europe peut-elle devenir enfin un vecteur de justice et de protection sociales ?

Conçue historiquement comme un projet d’émancipation des Européens, l’UE est à l’inverse de plus en plus perçue comme un moteur d’évolutions qui, loin de protéger les travailleurs, nourrissent au contraire leur insécurité sociale et économique.

Cette situation n’a pourtant rien d’une fatalité. Les tendances de fond qui touchent les citoyens de l’Union (évolutions de l’emploi vers plus de flexibilité voire de précarité, disruptions technologiques, inégalités et polarisation croissantes entre territoires et entre travailleurs….) concernent tous les Etats et appellent des actions à l’échelle européenne. Et de fait l’UE dispose de leviers d’action potentiellement puissants, bien que peu utilisés.

Dans ce contexte, il est essentiel, voire vital, de donner enfin à l’Europe un véritable rôle social car il conditionne l’adhésion même des citoyens au projet européen. Pour y parvenir, la première condition est de proposer un véritable programme d’action, concret et opérationnel, qui pourrait être au coeur de l’ambition pour l’Europe portée par la France au cours des prochaines années. Faire face aux enjeux sociaux du numérique, peut ainsi être l’occasion de donner une réelle dimension sociale à la construction européenne, et ce autour de trois priorités majeures :

Le premier chantier, peut-être le plus important, concerne le droit du travail. Après avoir favorisé la libre circulation, la réglementation européenne dans ce domaine a visé à réduire les risques de dumping social, comme on vient de le voir avec l’adoption de la directive sur les travailleurs détachés. Le numérique oblige l’Europe à aller plus loin, car il remet en cause de fond en comble les notions sur lesquelles se sont développées les protections des travailleurs dans chaque espace national. C’est le cas notamment pour les travailleurs des plateformes numériques et la récente initiative européenne sur le sujet, si elle doit être saluée, relève plus du verre à moitié vide que du verre à moitié plein. Comme l’Union a su le faire pour la protection des données personnelles avec le RGPD, elle doit pouvoir développer les protections des travailleurs touchés par les évolutions numériques, car c’est à son échelle que ces questions nouvelles doivent pouvoir être gérées, en appliquant les principes fixés par la charte des droits sociaux fondamentaux, ce qui suppose que ceux-ci soient intégrés dans le socle juridique de l’Union et dans la jurisprudence de la Cour de justice. Nous préconisons aussi la mise en place d’un compte d’activité à l’échelle européenne qui “pourrait devenir un instrument privilégié d’action coordonnée de l’échelon national et européen en matière de droits sociaux et de portabilité afin de favoriser la mobilité”. Un tel compte permettrait par ailleurs également d’agréger un écosystèmes d’applications facilitant la portabilité et l’objectivation des compétences.

Le deuxième chantier, peut-être le plus important, c’est de dépasser l’alternative traditionnelle entre harmonisation et coordination en matière de protection sociale pour impulser une adaptation concertée des Etats providence aux défis du 21ème siècle. L’enjeu est de faire en sorte que des dispositifs conçus d’abord pour protéger contre les risques de la vie permettent de développer en même temps les capacités individuelles et collectives. C’est le cas, par exemple pour les dispositifs d’accueil de la petite enfance, et d’apprentissages précoces, qui sont l’un des moyens les plus efficaces de lutte contre les inégalités. Ce peut-être l’occasion pour la France de bénéficier de l’expérience avancée des pays scandinaves, et plus récemment de l’Allemagne, pour analyser ensemble l’efficacité sociale de la dépense consacrée à ces activités. Cela suppose de mettre en place, au niveau communautaire, des évaluations coordonnées des dispositifs mis en place. Ainsi, une utilisation commune des entrepôts de données (big data) peut permettre de renouveler totalement ces méthodes d’évaluation pour voir “ce qui marche” ou pas, que ce soit pour l’accueil de la petite enfance, pour l’inclusion des personnes en situation de handicap, comme pour l’accès à des qualifications des neets, comme pour l’accès au numérique des personnes qui en sont éloignées. Et bien sûr d’impulser des politiques efficaces pour développer les compétences des européens.

Le troisième chantier, peut-être le plus important, c’est d’utiliser le numérique pour redonner aux citoyens européens du pouvoir d’agir au niveau des territoires. Là encore il s’agit de dépasser la traditionnelle politique régionale, basée sur les fonds structurels, qui a accompagné le rattrapage de nombre de régions en retard mais qui s’essouffle, et d’utiliser le numérique pour relancer la dynamique des territoires. Il s’agit par exemple de développer des négociations sociales à l’échelle des territoires, en sortant du tête-à-tête entre les salariés et leur entreprise, pour embarquer dans ces négociations l’ensemble du tissu économique d’un territoire. Il s’agit aussi de renouveler le projet mutualiste, pour permettre aux citoyens de participer à la gestion des biens communs, notamment environnementaux. Les potentialités du numérique peuvent être mises à disposition de nouvelles formes de démocratie économiques et sociales, pour gérer la complexité croissante des logiques territoriales.

Ces axes d’action concrets pour l’Europe montrent combien le numérique, avec tous les défis sociaux qu’il pose aux citoyens de l’Union, est peut-être aussi le bon levier pour que l’Union économique et monétaire devienne aussi une véritable Union sociale.

 

#Leplusimportant

Daniel Lenoir, responsable du Pôle Europe, avec Jean-Michel Amor, Mathias Dufour, Florian Forestier, Alan Hick.

 

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