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Faire du filet de sécurité un tremplin : pour une allocation sociale unique et inclusive

Cela fait plusieurs mois que je voulais écrire ici sur l’allocation sociale unique. Le sujet revient épisodiquement, mais discrètement, dans l’actualité, sinon dans les débats. Mais le débat lui même n’a pas vraiment eu lieu, ni pendant la campagne électorale, où il a été malheureusement confisqué (et peut-être même un peu déconsidéré) par l’idée utopique de revenu universel développée par Benoît Hamon, ni depuis, malgré ces évocations ponctuelles.

Pourtant, encore récemment un article des Echos évoquait les travaux du gouvernement pour rationaliser et simplifier les prestations et faire en même temps des économies. De même, le dernier rapport de l’Institut Montaigne sur le numérique et la protection sociale suggère de simplifier les minima sociaux et les prestations familiales dans une allocation sociale unique.

D’un autre côté, le 27 novembre dernier, le jour où je laissé les clefs de la maison « Branche famille » à Vincent Mazauric, la matinale de France Inter donnait la parole à Stéphane Troussel, Président de la Seine Saint Denis, pour commenter la déclaration qu’il avait signée la veille avec sept autres présidents de départements pour proposer l’expérimentation d’un revenu de base, en s’appuyant sur de premiers travaux du département de la Gironde. Idée reprise il y a quelques semaine par 13 présidents de départements et la Fondation Jean Jaures, pour expérimenter un revenu de base qui fusionne les minima sociaux.

Revenu de base, allocation sociale unique, revenu d’existence, réforme des minima sociaux, … : je regrette la grande confusion qui existe sur ces initiatives, ces idées et ces débats. Pourtant l’enjeu n’est rien de moins que de  « refonder le système de prestations sociales et familiales sur une base plus juste, plus efficace, et en diminuant la charge pour les finances publiques ». Autrement dit refonder le système de protection sociale.

Le 18 octobre dernier, à l’occasion du congrès de l’UNCCAS, où j’intervenais à l’invitation de sa présidente, Joelle Martinaux, j’avais indiqué que, plutôt que de défendre le rempart contre l’exclusion, il fallait faire du filet de sécurité un trampoline, pour permettre aux exclus de rebondir. Le projet d’allocation sociale unique et inclusive est une bonne illustration de cette idée.

 

Faire du filet de sécurité un tremplin

Pour une allocation sociale unique et inclusive

 

Du débat sur le « I » de RMI à ceux sur « l’activation » du RSA, on peut constater, trente ans après, le relatif échec de l’idée de départ : utiliser un minimum social à la fois comme filet de sécurité, pour éviter au plus précaires de tomber dans l’extrême pauvreté, et en même temps comme un tremplin, pour insérer et favoriser le retour à une activité.
Avec le recul du temps je crois pouvoir dire que ceux qui ont conçu et ensuite porté les dispositifs de minima sociaux et d’insertion (et je me mets dans le lot), ont fait une erreur sur deux points :
– Le premier c’est d’avoir accroché ce dispositif à un minimum social, avec tous les effets de seuil qui y sont attachés, y compris ses effets de stigmatisation (critique que j’avais fd’ailleurs aite en son temps pour la CMU complémentaire, et que l’aide à la complémentaire santé (ACS) n’a que partiellement atténué) et que ni le dispositif d’intéressement du RMI, ni le dispositif, plus ambitieux au départ, du RSA activité, n’ont réussi à gommer.
– Le second c’est d’avoir traité d’une façon principalement institutionnelle (qui le fait ?) et non en termes de méthode (comment fait-on ?) la question de l’accompagnement. Il ne suffit d’afficher une intention d’insertion ou d’activation pour que « ça marche ». Il faut aussi que les dispositifs d’accompagnement soient orientés vers ces objectifs, en mettant en œuvre des méthodes « qui marchent » .

Un constat similaire pourrait d’ailleurs être fait pour l’inclusion des personnes en situation de handicap.

Plus récemment, le débat sur l’évolution des prestations familiales et sociales devait conduire à remettre à plat l’ensemble du dispositif a fait long feu, se heurtant au tabou du quotient familial. Pourtant, de la réforme des allocations logement, qui constituent, en fait, bien plus qu’une aide au logement, le principal minimum social en France, aux allocations familiales avec le mauvais, et faux débat, sur la remise en cause de leur caractère universel, alors que celui-ci doit s’apprécier sur l’ensemble du dispositif socio-fiscal, c’est à dire en intégrant le quotient familial, en passant par ceux sur la « base ressource » qui sert de base de calcul à ces différentes prestations et la possibilité de la « rafraichir » plus vite, et par les moyens d’utiliser le numérique pour favoriser l’accès au droit, il y a là de quoi concevoir une grande et belle réforme de l’ensemble des prestations familiales et sociales autour du concept d’allocation sociale unique, que j’avais fait simuler à la Cnaf, mais en n’intégrant qu’une partie des prestations, et notamment pas les allocations familiales, car il aurait alors fallu simuler sur l’ensemble du dispositif socio-fiscal, pour intégrer l’effet du quotient familial.

Le succès de la prime d’activité a montré pourtant, que, si on sait s’en donner les moyens, y compris techniques , on peut mettre en place un mécanisme de progressivité efficace et juste, validant ainsi l’intuition du RSA-activité, mais en ne rattachant plus cette prestation à un minimum social (le RSA), ce qui en élimine en grande partie les effets de stigmatisation. La prime d’activité n’intègre en revanche que la dimension activité, et pas les autres dimensions d’une garantie de ressource, qui le serait par une allocation sociale unique.

A contrario les débats des présidentielles ont montré la non adhésion des français à un projet de type « revenu universel », c’est-à-dire d’un revenu de base forfaitaire pour tout le monde, projet porté principalement par Benoît Hamon, et qui présente de multiples inconvénients, notamment  son coût pour les finances publiques, le sentiment qu’il ne répond pas à des critères de justice communément partagés (dans la mesure où il est versé à toute personne quels que soient ses revenus, c’est « l’effet Bettencourt »), comme aussi son absence d’effet incitatif (voire ses effets désincitatifs) à l’activité.

Par ailleurs des travaux récents montrent aussi qu’on commence à mieux connaître et évaluer les méthodes d’accompagnement des personnes en situation d’exclusion, quelle que soit l’origine de cette exclusion, ce qui doit permettre de définir une politique publique efficace dans ce domaine.

Le projet d’allocation sociale unique vise ainsi une refonte complète du dispositif de soutien au revenu des individus, ce qui est plus large que la notion d’aides sociales, et doit s’accompagner d’un dispositif d’accompagnement des personnes, accessible à tous, le tout reposant sur une philosophie qui combine à la fois l’équité et le souci de développer les capacités des personnes. Il permettrait ainsi de faire du filet de sécurité un tremplin et reposerait sur deux piliers :
– une allocation sociale unique (d’inclusion) ;
– un dispositif généralisé d’accompagnement des personnes dans une dynamique inclusive (dans l’emploi, bien sûr, mais aussi plus généralement dans la société).

Une allocation sociale unique

Cette allocation unique devrait regrouper un certain nombre de prestations, qui constituent aujourd’hui des minima sociaux, comme le prévoyait le rapport Sirugue, mais aussi la plupart des prestations familiales, sous condition de ressource ou non, ainsi que le minimum vieillesse et les allocations handicap. Au-delà d’un certain niveau de revenu, on peut en revanche considérer que le relai du système social est pris par le système fiscal, par exemple au travers du quotient familial, pour les allocations familiales. En effet, contrairement à une illusion d’optique résultant de l’histoire, le caractère universel des prestations familiales (et sociales) est assuré, non par le seul système de Sécurité sociale, mais aussi par le système fiscal, d’ailleurs lui-même plus universel, pour les plus aisés, puisque le quotient familial intervient dès le premier enfant. En faisant ainsi, on évite l’écueil auquel s’est heurté le député Guillaume Chiche, celui d’être accusé de remettre en cause le quotient familial, le relai de l’allocation social unique étant pris par le système fiscal. De ce point de vue, l’allocation sociale unique constitue ainsi une forme d’impôt négatif, comme l’avait promu Lionel Stoléru dans les années soixante-dix.
Le projet d’une allocation sociale unique permettrait d’assurer la neutralité du dispositif, en intégrant les effets de redistribution de façon équitable et en y associant des incitations positive à l’inclusion, notamment sur le marché du travail ou pour les personnes en situation de handicap, tout en évitant au contraire les effets désincitatifs (effet dit de « trappe à pauvreté ou à inactivité», notamment, qui, même s’il faut le relativiser, peut ne pas inciter à sortir des minima sociaux). Cela suppose bien entendu, comme je l’avais fait faire sur un champ plus restreint, de simuler en détail les différentes composantes de cette allocation, et son articulation avec le système fiscal .
Une telle allocation se substituerait à la quasi-totalité des prestations familiales et sociales existantes, chacune au travers d’une composante spécifique, assurant la continuité avec le système fiscal. Elle pourrait, et même devrait, être calculée sur la base d’un revenu proche du revenu perçu, comme c’est le cas pour la prime d’activité et le RSA et non le revenu fiscal de l’année n-1 (ce qui était le cas pour la prime pour l’emploi, avant la prime d’activité) ou de l’année n-2 (ce qui est toujours le cas pour les allocations logement, même si le projet annoncé par le gouvernement est de s’appuyer sur une base plus proche à partir de 2019, comme d’ailleurs pour les allocations familiales depuis qu’elles sont modulées). Ces deux effets répondent à des critères de justice très consensuels au sein de la société française, et ont de surcroît des effets extrêmement bénéfiques sur les finances publiques. Pour les seules allocations logement, l’impact positif sur les finances publiques est au moins égal à 1,3 milliards d’Euros, comme l’ont mesuré les estimations de la Cnaf, auxquels s’ajoutent quelques 300 millions d’Euros pour les autres prestations.
Une telle allocation comporterait un certain nombre de composantes, ce qui nécessite un dispositif numérique complet d’accès au droit avec simulation, télédéclaration (et surtout acquisition directe des données), et liquidation (calcul) automatique, analogue à celui qui a été mis en place pour la prime d’activité, puis le RSA. On a vu depuis que cette numérisation n’était pas, tout au contraire, un obstacle à l’accès au droit, comme le clamait certains cassandres, relayées en partie, hélas, par le Défenseur des droits, dès lors qu’elle s’inscrivait dans une stratégie d’inclusion numérique.
La composante « famille », ou plus exactement « enfant(s) » se substituerait ainsi aux allocations familiales. A partir d’un certain niveau de revenu, son relai serait pris par le quotient familial. Une telle mesure permettrait de faire une économie importante : dans le système actuel, si l’on limite le montant des allocations familiales de telle sorte qu’ajouté à l’avantage tiré du quotient familial le total il ne soit pas supérieur au montant de l’allocation familial à taux plein, l’économie réalisée est de l’ordre de 5 milliards d’Euros, ce qui permettrait de financer largement une composante « familiale » dès le premier enfant (comme l’est le quotient familial). L’acceptabilité sociale est beaucoup plus forte que ce qu’en laisse entendre les thuriféraires de l’universalité, car pour les déciles aux revenus les plus élevés, l’avantage tiré du quotient familial est bien supérieur à celui tiré des allocations familiales, surtout après la modulation . Le caractère universel serait d’ailleurs davantage garanti, puisque la couverture serait assurée dès le premier enfant, mais par l’ensemble du système socio-fiscal.

La composante « vieillesse » se substituerait à l’allocation de solidarité pour les personnes âgées, et permettrait ainsi à l’allocation sociale unique d’assurer un « minimum vieillesse » (c’est l’hypothèse simule dans l’étude de la Cnaf).          La composante « handicap » se substituerait également à l’allocation adulte handicapé, ce qui permettrait de l’intégrer de façon progressive, en fonction du taux de handicap, et non au-delà d’un certain seuil comme actuellement. Dans le même esprit, l’allocation sociale unique devrait également intégrer l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé, comme un complément de la composante « enfant(s) ». On pourrait, de la même façon, mettre en place à terme une composante « dépendance » assurant un complément minimum pour couvrir les besoins liés à la perte d’autonomie liée à l’âge (et intégrer ainsi tout ou partie de l’actuelle APA)
La composante « logement » se substituerait à l’ensemble des aides au logement. Il serait nécessaire que la réforme en cours des allocations logement soit faite en fonction de cette perspective d’intégration dans l’allocation sociale unique, car à défaut les choix seront fait de façon disjointe, comme cela a été fait précédemment pour le calcul du revenu disponible pour la prime d’activité et le RSA.
La composante « activité » intégrerait l’actuelle prime d’activité, avec un objectif d’incitation à la reprise d’activité, comme celui d’éviter un effet « trappe à pauvreté ».
La composante « revenu minimum », se substituerait à l’ensemble des minima sociaux existants, conformément au scénario 3 du rapport Sirugue.
Cette réforme nécessite, ce sera peut-être le principal obstacle, la fusion des budgets des prestations familiales et sociales concernées, puisqu’elles relèvent de budgets différents : la branche famille de la Sécurité sociale, pour les allocations familiales, le fonds de solidarité vieillesse pour l’ASPA, le budget de l’Etat, mais relevant de différents ministères pour les allocations logement, la prime d’activité ou l’AAH, celui des départements, pour l’instant du moins, pour le RSA et pour l’APA.

 

Un dispositif généralisé d’accompagnement orienté vers l’inclusion.

Si les dispositifs d’insertion ou d’activation, plus généralement d’inclusion, tant du RMI que du RSA n’ont pas fonctionné, ce n’est pas tant du fait qu’on en ait confié la responsabilité à telle ou telle institution (les Conseils départementaux par exemple), mais que l’on n’ait pas organisé un dispositif général d’accompagnement des exclus ou handicapés, qui soit orienté vers le développement des capacités (« capabilités » au sens d’Amartya Sen) et non uniquement sur l’accès aux prestations (optique traditionnelle des travailleurs sociaux, notamment des « assistantes sociales »). Un constat analogue peut être fait sur la politique d’inclusion des personnes ne situation de handicap, qui, malgré quelques succès isolés, n’a jamais réellement décollé. On pourrait également, comme l’avait d’ailleurs fait le rapport « Borello », faire un constat analogue pour le retour à l’emploi des chômeurs dont l’employabilité est réputée, à tord, faible, ce qui conduit, pour une part importante d’entre eux, à les décourager de la recherche de l’emploi, mais aussi aux employeurs potentiels de les embaucher.

Il est temps de sortir de l’alternative habituelle « assistance/contrôle », pour développer une dynamique positive d’accompagnement des personnes pour faire face à des difficultés, parfois passagères, en développant une réelle politique publique d’accompagnement des personnes, s’appuyant sur des méthodes éprouvées , dans une logique d’investissement social, telle que j’ai pu la développer à plusieurs reprises ici. Cela suppose d’intégrer dans la mise en œuvre de cette nouvelle politique publique d’accompagnement des personnes un dispositif d’évaluation pour mesurer « ce qui marche ».

Il s’agit à proprement parler d’une « révolution copernicienne » sur la finalité de l’accompagnement des personnes, qui doit passer par une refonte complète des métiers, indépendamment des institutions employeurs (Conseil départementaux, Caf, Pôle emploi, associations…), en s’inspirant des méthodes dites de « coaching » développées dans les entreprises.

 

Paris, le 22 mai 2018

 

 

2 commentaires

  • Très intéressant. Mais on se heurte toujours au problème de l’accompagnement. Bien sûr que quelqu’un peut toujours se sortir de sa condition. Bien sûr que l’assistance n’est pas digne pour l’être humain. Bien sûr qu’il faille faire des économies. Mais comment suivre et aider les personnes à se bouger à se former à être curieux à apprendre à se prendre en main. Le coaching .? Ben oui bonne idée. Mais qui? Ou ? Comment? Qui finance ? . Il faut réfléchir.

    • Oui Danielle, il faut réfléchir sur « comment accompagner ? ». Il faut plus encore évaluer pour savoir « ce qui marche » (What works ?). Et s’en servir pour redéfinir en profondeur la politique publique d’accompagnement. C’est une des formes de l’investissement social qui doit amener à repenser les financements et la place de chacun.

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