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L’inclusion est un investissement social (à propos du rapport Borello)

Je n’ai pas de raison de le cacher : j’ai bien aimé le rapport « Donnons-nous les moyens de l’inclusion », rédigé pour Muriel Pennicaud par Jean-Marc Borello, avec le concours de Baptiste Barfety, un jeune collègue de l’Igas. Je ne veux pas me livrer ici à une paraphrase de ce rapport qui se suffit à lui-même, encore moins à une sorte de palimpseste, mais revenir sur un des fondements théorique de ce travail, la notion d’investissement social, que j’ai déjà eu l’occasion de commenter sur ce blogue et qui est un des axes du travail que je crois nécessaire à la refondation du « social », et pas seulement de la protection sociale. Ce qui explique aussi pourquoi j’ai apprécié la démarche.

L’inclusion est un investissement social

Comme l’indique le rapport, l’exclusion a un coût social, mais elle a d’abord un coût économique. Reprenant une étude d’ATD Quart Monde, le rapport l’estime à 36 milliards d’Euros (en 2013). Il s’agit, si l’on peut dire, des « couts directs », ceux des prestations versées, des manque-à-gagner, et des coûts induits (il faudrait, si l’on veut être complet, mesurer les « externalités négatives » de l’exclusion). Et les auteurs d’en tirer la conclusion qui s’impose : « l’objectif d’équilibre des finances publiques et de réduction de la dette publique ne conduit donc pas systématiquement à préconiser une réduction des dépenses sociales ». Dans une logique économique simple, il serait donc rentable d’investir une somme équivalente, en tablant sur le retour sur investissement. Comme le précise d »ailleurs les auteurs, « quand le retour sur investissement social est supérieur au coût de la dette, il est économiquement plus cohérent d’emprunter pour investir dans la prévention, plutôt que d’attendre de devoir réparer ». Mais ce n’est, en fait, pas toujours aussi évident. D’abord le bouclage macroéconomique peut être plus complexe, et amplifier, mais aussi diminuer ce retour sur investissement. D’ailleurs, mesuré en terme monétaire, c’est-à-dire dans le cadre du PIB tel qu’il est calculé, le rendement économique de l’investissement social est rarement supérieur à 1. C’est la raison pour laquelle je ne suis pas favorable à ce qu’on classe la dépense sociale en « dépenses courantes » et « dépenses d’investissement », car en laissant penser qu’on peut financer celles-ci par de l’endettement, on décrédibilise la notion d’investissement social auprès des gestionnaires des finances publiques.

Mais si elle a une fonction économique incontestable, l’inclusion a d’abord une fonction d’investissement social. Comme l’indique là encore les auteurs, c’est revenir à une « intuition ancienne », résumée par le vieil adage issu de la sagesse des nations « il vaut mieux prévenir que guérir ». Là il s’agit moins de prévenir que de redonner des capacités à des personnes qui ont été durablement éloignées de l’emploi, et c’est pourquoi le rapport réfute le concept d’employabilité, auxquels ils opposent celui d’employeur-abilité, pour décrire « la capacité à être un bon employeur », c’est à dire à organiser des « parcours emploi compétences ». On est là au cœur du concept d’investissement social, qui est d’abord l’investissement dans le « capital humain », qui lui n’est pas toujours facile à mesurer économiquement. Mais, même si « mesurer rigoureusement un retour sur investissement social est très compliqué », les travaux que j’ai fait conduire avec France Stratégie ont permis de dégager des méthodes de mesure qui permettent de passer « des analyses « cout-efficacité » actuellement courante à des analyses « cout-bénéfice » », ainsi que l’a montré Arthur Heim en analysant «comment évaluer le rendement de l’investissement social ».

Pour mesurer il faut expérimenter et évaluer. C’est ce qui conduit les auteurs à la recommandation n°3 : « Amplifier l’expérimentation « Territoire zéro chômeurs », et constituer un accélérateur d’innovation sociale » prévue dans la loi du 29 février 2015. C’était ce type d’expérimentation que j’avais lancé en Meurthe et Moselle, avec Matthieu Klein, pour favoriser le retour à l’emploi de femmes seules en charge d’enfants bénéficiaires du RSA. C’est l’occasion de souligner le faible équipement, en France, pour mesurer « ce qui marche », comme le font les britanniques avec les « What works centres », et l’absence de financements dédiés. Ce qui m’avait conduit à proposer, pour les sujets de la politique familiale, notamment l’accueil de la petite enfance, un fonds de soutien à l’investissement social : il ne serait pas aberrant d’utiliser une infime part de la dépense sociale  (0, 0002 % dans ma proposition : les sommes nécessaires n’ont rien à voir avec ce que les industries consacrent à l’effort de « recherche-développement ») pour mesurer son efficacité et voir comment l’améliorer, en évaluant, sans a priori, l’effet de tel ou tel dispositif innovant. Ce raisonnement devrait être étendu à l’ensemble des domaines du social, y compris bien sûr la politique de l’emploi, pour améliorer le rendement de l’Euro investi.

Ce faisant, la notion d’investissement social dépolitise les solutions mais repolitise les priorités : « la logique d’investissement social doit (…) demeurer une aide à la décision publique, et ne peut en aucun cas la remplacer ». Soyons clairs, il ne s’agit pas de confisquer au profit de cercles d’experts l’évaluation des dispositifs et d’instituer ainsi une sorte de « gouvernement des savants » tel que l’imaginaient les saint-simoniens. Cette évaluation par des experts doit aussi être soumise à des formes de délibération démocratique, avec les usagers, les acteurs et toutes les parties prenantes des politiques publiques et nous avons, là aussi, beaucoup de progrès à faire. Mais cette évaluation peut échapper aux classiques clivages idéologiques, au moins a priori, en acceptant de soumettre des idées à la réalité. En revanche, l’évaluation, si elle permet de classer les dispositifs en fonction de leur rendement, ne permet pas d’arbitrer sur les priorités des politiques publiques, ni surtout sur les budgets, et donc la part des prélèvements obligatoires, qui doivent être consacrées à chacune. Voilà qui laisse une large part aux choix politiques, et qui permettrait peut-être qu’ils soient plus clairs.

Paris, le 23 février 2018

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